30/01/2017 23:07:48: Mrcaba: Donald Trump
Par Cécile Bouanchaud, Nicolas Bourcier
Le 30 janvier 2017 à 18h49
Mis à jour le 30 janvier 2017 à 21h16
Le texte signé vendredi par le président américain, contesté et partiellement bloqué par la justice fédérale, génère la confusion. Qui vise-t-il ? Quels sont les recours possibles ? Est-ce une nouveauté dans l’histoire américaine ?
Donald Trump, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le 30 janvier à Washington. | NICHOLAS KAMM / AFP
Le président américain, Donald Trump, a, à nouveau, défendu, lundi 30 janvier, le décret migratoire qu’il a signé vendredi à l’encontre des ressortissants de sept pays musulmans et des réfugiés. Une certaine confusion règne toutefois toujours autour de cette initiative dénoncée par de nombreux chefs d’Etat mais aussi désormais par une partie du monde des affaires.
Que dit le décret ?
Intitulé « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis », le décret a été mis en application dès sa signature, le 27 janvier à 16 h 42, heure locale. Le texte ne mentionne aucun pays en particulier, mais il fait référence à une loi de 2016 qui établit une liste de « pays à risque » (« countries of concern ») : le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak.
Le décret interdit pendant quatre-vingt-dix jours toute entrée sur le territoire américain aux ressortissants de ces sept pays. Il bloque également pendant quatre-vingt-dix jours les entrées de réfugiés venant de ces pays.
Les réfugiés syriens, dont seulement 18 000 ont été acceptés aux Etats-Unis depuis 2011, sont eux définitivement interdits d’entrée, jusqu’à nouvel ordre. De façon plus générale, le texte bloque le processus d’admission des réfugiés du monde entier pendant cent vingt jours.
Le décret prévoit aussi de suspendre le visa Interview Waiver Program (IWP), le programme d’exemption de visa, en obligeant les détenteurs de ce sésame d’avoir un entretien en tête à tête avec un agent consulaire lors de son expiration. Jusqu’à présent, il suffisait de déposer le passeport muni d’un tel visa au consulat afin d’obtenir son renouvellement.
L’IWP autorise les voyageurs appartenant à trente-huit pays éligibles – dont des alliés proches comme le Royaume Uni, l’Allemagne et la France – de rester jusqu’à quatre-vingt-dix jours aux Etats-Unis sans visa. Interrogé, un porte-parole du département d’Etat n’a toutefois pas pu confirmer les effets immédiats de cette suspension.
Des pays peuvent-ils s’ajouter à la liste ?
Le représentant du parti Républicain en France, Marc Porter, a précisé dans une interview à TV5 Monde, dimanche, que la liste pourrait s’allonger.
« S’il y a beaucoup de terroristes qui viennent des autres pays, bien sûr, on va les ajouter sur la liste. Il y a un problème, on doit régler le problème. »
Lire aussi : A Los Angeles, l’incrédulité de la communauté iranienne face au décret anti-immigration
Quid des personnes ayant la double nationalité ?
Dimanche soir, l’administration républicaine a déclaré que les Américains ayant la double nationalité et originaires des sept pays de la liste noire bénéficient d’une exemption et peuvent entrer aux Etats-Unis.
Pour les binationaux non américains, c’est la nationalité de l’un des Etats visés qui primera et ils se verront interdire l’accès au territoire américain si l’une des nationalités est celle d’un des sept pays visés par le décret, à l’exception du Royaume-Uni et du Canada, qui ont déclaré avoir obtenu, dimanche, une exemption.
Les passagers possédant la citoyenneté britannique et celle d’un des sept pays qui se rendent « aux Etats-Unis en venant d’un pays autre » que ces sept pays ne sont pas affectés par la mesure, assure Londres.
Les seuls binationaux « susceptibles d’être soumis à des vérifications supplémentaires sont ceux venant de l’un de ces sept pays, par exemple un Britannico-Libyen se rendant aux Etats-Unis depuis la Libye ».
A Boston, dans le Massachusetts, des manifestants ont organisé un rassemblement baptisé « Boston manifeste contre le “Muslim ban” et le décret anti-immigration ». | BRIAN SNYDER / REUTERS
Les conséquences juridiques du décret américain « ne sont pas encore claires » en ce qui concerne leur impact éventuel sur des ressortissants de l’Union européenne détenteurs de la double nationalité des pays visés, a expliqué, lundi, le porte-parole de la Commission européenne, Margaritis Schinas.
En Allemagne, Steffen Seibert, porte-parole de la chancelière Angela Merkel, a assuré, dimanche, que le gouvernement allemand « défendra, si nécessaire, les intérêts » de ces ressortissants binationaux.
Les détenteurs d’une « carte verte » sont-ils concernés ?
Des détenteurs de la « Green Card », la carte de résident permanent aux Etats-Unis, originaires des sept pays de la liste noire, ont déclaré au cours du week-end avoir été refoulés ou interdits d’embarquer dans des vols à destination des Etats-Unis.
Samedi, des responsables du département de la sécurité intérieure américain ont assuré que les détenteurs de cette carte devaient contacter leur ambassade. Un peu plus tard, lors d’un briefing avec des journalistes, des officiels de la Maison Blanche ont dit que les retours des ressortissants des sept pays allaient être gérés au cas par cas.
Dimanche soir, l’administration américaine a officiellement clarifié la situation, en annonçant qu’ils auraient le droit d’embarquer à destination des Etats-Unis.
Les détenteurs de « cartes vertes » ayant demandé une exemption au nouveau décret migratoire l’ont obtenue, a par ailleurs annoncé dimanche un haut responsable de l’administration américaine.
Ces clarifications orales ne modifient cependant pas le texte du décret. De nouvelles clarifications étaient attendues lors du point presse du porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, lundi dans la journée.
Lire : Donald Trump soulève l’indignation après son décret sur l’immigration
Que dit la loi américaine sur les droits des immigrés ?
La loi sur l’immigration et la nationalité de 1965 interdit toute discrimination à l’égard des immigrés sur la base de leur origine. Ce texte traite chaque pays de manière équitable concernant la politique des quotas migratoires en place aux Etats-Unis.
Pour défendre la fiabilité juridique de son décret, M. Trump a invoqué une loi de 1952 qui permet au président de « suspendre l’entrée »de « certaines catégories d’étrangers » considérés comme préjudiciables pour les intérêts des Etats-Unis, rappelle le New York Times.
Lire : Face à Trump, les indispensables contre-pouvoirs
Le président américain semble toutefois ignorer que le Congrès a depuis restreint ce pouvoir, estimant qu’aucune personne ne pouvait être « discriminée dans la délivrance d’un visa d’immigrant en raison de la race, du sexe, de la nationalité, du lieu de naissance ou du lieu de résidence ».
C’est un des arguments utilisés par les opposants au texte, qui, comme le professeur David Cole, directeur de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU) accuse le président de créer une discrimination envers les réfugiés.
Le décret prévoit, selon l’expert, un traitement préférentiel pour les réfugiés issus des « minorités religieuses ». M. Cole rappelle à ce propos l’entretien accordé par M. Trump à la chaîne Christian Broadcast News, où il a affirmé qu’il avait l’intention de donner la priorité aux chrétiens demandeurs d’asile, sous-entendu avant les musulmans.
Lire aussi : L’Etat de Washington porte plainte contre le décret anti-immigration de Donald Trump
Qu’a statué la justice américaine sur ce décret ?
A Brooklyn, Boston, Alexandria et Seattle, quatre juges fédéraux ont imposé un sursis d’urgence au décret, après que de nombreux recours ont été déposés par des associations. Ces décisions ont eu pour conséquence d’interdire aux autorités américaines de refuser l’entrée ou d’expulser les personnes originaires des pays concernés par le décret, mais seulement si les personnes concernées disposaient d’un visa valide. Il est possible de consulter les décisions de justice en question sur le site du New York Times.
Selon les avocats qui ont déposé une requête contre le gouvernement afin de bloquer le décret, le nombre de cas directement concernés par les décisions des juges pourrait s’élever à près de deux cents personnes.
Des officiels du département de la sécurité intérieure, interrogés par plusieurs médias américains, ont annoncé que 109 personnes en transit avaient été refoulées samedi soir et 173 empêchées de monter dans l’avion avant son décollage vers les Etats-Unis.
Par ailleurs, plusieurs Etats examinent les moyens de contester la légalité du décret. L’Etat de Washington a été le premier, lundi, à déposer un recours. « Il doit être contesté comme enfreignant la Constitution », a déclaré le démocrate Xavier Becerra, procureur général de la Californie. « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à mener le combat pour définitivement abattre ce décret », a également commenté Eric Schneiderman, procureur de New York, samedi. Des positions similaires ont été exprimées par les Etats de Pennsylvanie, de Washington et d’Hawaï, qui inclinent en faveur du camp démocrate.
Quels sont les précédents dans l’histoire états-unienne ?
Avant la loi de 1965, les Etats-Unis ont longtemps interdit l’entrée sur leur territoire aux ressortissants de certains pays. A la fin du XIXe siècle, plusieurs lois interdisaient aux Chinois, et à presque tous les Japonais, de séjourner aux Etats-Unis. Ces lois avaient ensuite été renforcées, en 1921, pour s’appliquer à la quasi-totalité des pays asiatiques.
Par la suite, en 1924, le Congrès a adopté une loi fédérale visant à limiter l’immigration, en favorisant les personnes originaires d’Europe occidentale, au détriment de celles venues d’Europe de l’Est, de presque tous les pays d’Asie, et d’Afrique.
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Cécile Bouanchaud, Nicolas Bourcier
Le 30 janvier 2017 à 21h16