Paris Match| Publié le 08/02/2017 à 11h59 |Mis à jour le 08/02/2017 à 12h33
La mère d’Emmett Till s’est battue toute sa vie pour la justice.Newspapers/Gado/Getty Images
Dans un livre, l’historien Timothy B. Tyson revient sur la mort brutale d’Emmett Till en 1955. L’adolescent noir a été torturé par un groupe d’hommes blancs après qu’une femme l’a accusé de lui avoir manqué de respect. Mais cette dernière avait menti.
Emmett Till est devenu un symbole des droits civiques aux Etats-Unis. A 14 ans, cet adolescent noir a été torturé et tué par un groupe d’hommes blancs en 1955, accusé par une femme de lui avoir manqué de respect. Mais plus de cinq décennies plus tard Carolyn Bryant Donham a avoué dans un livre écrit par l’historien Timothy B. Tyson avoir menti.
A lire : Il y a 60 ans, Emmett Till, assassiné parce que noir
Alors qu’il se trouvait dans une épicerie du Mississippi, état ou la ségrégation et le racisme prédominaient à l’époque, Emmett Till aurait attrapé la jeune femme blanche par la taille lui lançant, «tu ne dois pas avoir peur de moi bébé, j’ai déjà fait des choses avec des femmes blanches dans le passé». D’après son récit, en sortant du magasin, il lui avait dit au revoir en la sifflant. Quatre jours plus tard, le 28 août, l’adolescent a été kidnappé chez son oncle par Roy Bryant – le mari de l’accusatrice – et J.W. Milam, deux hommes blancs.
L’adolescent a été tué en 1955, simplement parce qu’il était noir.© AP/SIPA
Pendant des heures, les ravisseurs l’ont torturé. Il a été battu, étranglé avec des barbelés, puis tué d’une balle dans la tête. Le corps de la victime a été jeté dans la rivière Tallatchie. Il a finalement été retrouvé trois jours plus tard. Défiguré, il n’a été identifié que grâce à une bague présente à son doigt et portant les initiales de son père.
Les meurtriers acquittés
Le corps de l’adolescent fut rapatrié à Chicago, d’où il était originaire. Aussitôt, la famille d’Emmett a réclamé justice. Mais elle n’est jamais venue. Le procès de Bryant et Milam ne fut qu’une formalité. Le jury uniquement composé de blancs, en seulement une heure et demi, a décidé d’acquitter les deux hommes. En échange de 4000 dollars, Bryant et Milam, qui ne risquaient alors plus rien, ont finalement accepté quelques semaines plus tard de raconter au magazine «Look» comment ils ont tué Emmett.
A lire : Emmett Till, symbole des droits civiques : son mémorial criblé de balles
En 2007, Timothy Tyson, l’historien, a interviewé l’accusatrice. Mais ce n’est que cette année qu’il a publié son récit dans le livre «The Blood of Emmett Till». Ces aveux tardifs ont été plus ou moins bien reçus par la famille de l’adolescent. Son cousin, qui se trouvait avec lui dans l’épicerie la nuit de l’incident supposé a déclaré au «Daily Mail» que «sa famille pense qu’elle veut se faire de l’argent en se faisant passer pour une prêcheuse. En ce qui me concerne, je pense qu’elle essaye de trouver un moyen d’aller au paradis», a-t-il commenté. Devenu pasteur, Wheeler Parker se dit «content qu’elle dise enfin la vérité, peu importe sa motivation». Mais Airicka Gordon-Taylor, la porte-parole de la famille, elle, ne se satisfait pas de cette révélation qui intervient trop tard selon elle. «Il y a des gens qui sont morts après avoir vécu avec les conséquences de ce qui est arrivé en 1955… Cela me dégoûte», a-t-elle fait savoir. Elle reproche également à l’historien d’avoir attendu dix ans pour dévoiler le contenu de son entretien avec Carolyn Bryant. «Tout est une question de marketing, tout ça n’est qu’une façon pour faire de la publicité pour son livre. Personne ne devrait l’acheter», a-t-elle dit au «Daily Mail».
Roy Bryant, qui fume un cigarre, et Carolyn sa femme, accompagnés de J.W. Milam et son épouse.© Bettmann/Contributor/Getty Image
L’auteur du livre a fait savoir à «Vanity Fair» qu’au cours de leur interview en 2007, Carolyn Bryant Donham, aujourd’hui âgée de 82 ans, avait fait part de ses regrets. «Elle était heureuse de voir que les choses ont changé dans le pays. Elle pensait que le vieux système de suprématie blanche était mauvais, mais à l’époque, elle trouvait cela plus ou moins normal», a-t-il raconté. Selon elle, «rien de ce que ce garçon a pu faire ne justifie ce qui lui est arrivé». Celle qui a également perdu un fils lui a également confié avoir ressenti du chagrin pour la mère d’Emmett Till, morte en 2003 et qui a consacré sa vie à se battre pour les droits civiques aux Etats-Unis. «Il n’y a aucune comparaison possible. Votre fils est mort dans des circonstances normales, mais vous avez causé le meurtre haineux d’Emmett», répond Airicka Gordon-Taylor.
Mamie Till Mobley avait décidé à l’époque que le monde avait besoin de voir ce qui était arrivé à son fils. Elle avait demandé à ce que sa tombe soit ouverte pendant les funérailles. Puis, pendant cinq jours, son corps mutilé fut présenté à qui voulait le voir, pour montrer ce que la haine pouvait provoquer. Le magazine «Jet» avait publié les photos, tout comme de nombreux journaux destinés à la communauté afro-américaine.
Le cercueil d’Emmett Till, devant les yeux de sa mère© AP/SIPA
«USA Today» se demande désormais si ces aveux peuvent lancer une nouvelle procédure judiciaire afin peut-être de laver l’honneur d’Emett Till. Carolyn Bryant a non seulement menti à la police en 1955 mais dix ans plus tard elle a répété son mensonge auprès du FBI, un crime selon la loi américaine. Elle pourrait être jugée pour obstruction à la justice et risquerait alors jusqu’à 5 ans de prison. Mais pour les experts, un nouveau procès semble pratiquement impossible si l’on tient en compte la prescription des faits. L’histoire d’Emmett Till a eu un tel retentissement aux Etats-Unis que Jay Z et Will Smith souhaitaient réaliser une mini-série en collaboration avec HBO sur la vie de l’adolescent. De nombreux autres films et livres racontent son histoire.