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Laurent Sagalovitsch — 23.02.2017 – 14 h 35, mis à jour le 23.02.2017 à 14 h 35
[Blog] Il savait la vanité de toutes choses et la beauté de l’échec. Il est aussi mon meilleur copain.
Flickr/Eric Huybrechts-Monthermé – Salle JB
L’autre soir, France 3 diffusait un documentaire sur Jacques Brel. Je l’ai manqué mais ce n’est pas bien grave, mon Jacques, depuis que je le fréquente, n’a plus de secrets pour moi. C’est à la fois mon meilleur copain et mon grand-frère, un espèce de grand couillon sur qui je sais pouvoir compter en toutes circonstances. Qui me comprend tout autant que je le comprends. Et que j’aime comme on aime les hommes de bonne volonté, sans calcul, avec cette générosité du cœur qui permet d’aller de l’avant dans cette vie qui nous ravit tout autant qu’elle nous effraie.
Brel ne calculait pas. Jamais. Il était profondément intègre. Il ne trichait pas. Il ne supportait ni la bêtise, ni la méchanceté, ni l’autorité, ni toutes ces choses qui empêchent les hommes de vivre : les petites mesquineries du quotidien, les grands cons qui vous donnent des leçons, les petits chefs aux idées étroites, les faussaires à la langue bien pendue, les gens ventripotants de suffisance et de sérieux et puis aussi les bonnes femmes dont l’immémoriale prudence les empêche de se laisser dévorer par l’amour.
Et même mort, il est encore bien plus vivant que la plupart d’entre-nous.
Il m’a consolé, il a posé des mots sur mes colères adolescentes, il a attendri mes mélancolies latentes, il m’a appris à ne jamais renoncer à mes rêves, même les plus fous, surtout ceux-là, il m’a redonné du courage quand j’étais sur le point de renoncer, il m’a appris à rire de la mort et à l’aimer comme une vieille amante qui jamais ne vous jugera et surtout, il m’a assuré, il m’a promis, il m’a juré que jamais je ne serai seul puisqu’il me suffirait d’écouter n’importe laquelle de ses chansons pour réchauffer mon cœur.
Il buvait, il fumait, il baisait, il était misanthrope mais il aimait tous les hommes, il savait la vanité de toutes choses et la beauté de l’échec, il louait les femmes autant qu’il s’en méfiait, il avait mal aux autres, il n’avait rien d’autre à leur offrir que ses chansons, ces crachats ardents de vérité, brûlants d’amour où il se donnait sans se compter, sans s’épargner, sans s’économiser ; sur scène il ruisselait pour mieux soigner nos blessures, il avait cette élégance de ceux qui sont nés pour donner et pour donner encore.
Quand il s’est tu, c’est qu’il n’en pouvait plus. Il avait trop donné, il lui fallait s’éloigner de la société des hommes pour permettre à son cœur et à son esprit de respirer et de respirer encore, de bouffer cette vie qui ne sert à rien mais dont on n’est jamais rassasié, cet inlassable combat pour toujours se dépasser, tenter d’aller au bout de ses rêves afin de mourir sans regret.
Ou du moins d’essayer. D’essayer toujours. D’essayer à en crever.
Et il est mort debout.
Atteint par la maladie mais intact. Comme Rimbaud, son grand frère à lui. Mais avant de partir, il est revenu dans la grande ville, il a déposé à nos portes ce dernier disque qui a la beauté grave d’une oraison funèbre et l’élégiaque splendeur d’un chant écrit par un homme revenu de tout, fatigué mais assez lucide pour célébrer encore et toujours l’amitié, l’amour, la tendresse, l’infinie compassion d’un poète qui aura passé son existence à consoler le cœur chagrin des hommes.
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Non, Jef, t´es pas tout seul Mais arrête de pleurer Comme ça devant tout l’monde Parce qu´une demi-vieille Parce qu´une fausse blonde T´a relaissé tomber Non, Jef, t´es pas tout seul Mais tu sais qu’tu m’fais honte A sangloter comme ça Bêtement devant tout l’monde Parce qu´une trois quarts putain T´a claqué dans les mains Non, Jef, t´es pas tout seul Mais tu fais honte à voir Les gens se paient not’ tête Foutons l’camp de c’trottoir Viens, Jef, viens, viens, viens! {Refrain:} Viens, il me reste trois sous On va aller s’les boire Chez la mère Françoise Viens, Jef, viens Viens, il me reste trois sous Et si c´est pas assez Ben il m’restera l´ardoise Puis on ira manger Des moules et puis des frites Des frites et puis des moules Et du vin de Moselle Et si t´es encore triste On ira voir les filles Chez la madame Andrée Paraît qu’y en a d’nouvelles On r’chantera comme avant On s’ra bien tous les deux Comme quand on était jeunes Comme quand c´était le temps Que j’avais d’l’argent Non, Jef, t´es pas tout seul Mais arrête tes grimaces Soulève tes cent kilos Fais bouger ta carcasse Je sais qu’t’as le cœur gros Mais il faut le soulever, Jef Non Jef t´es pas tout seul Mais arrête de sangloter Arrête de te répandre Arrête de répéter Qu’t’es bon à t’ outre à l’eau Qu’t´es bon à te pendre Non, Jef, t´es pas tout seul Mais c´est plus un trottoir Ça d’vient un cinéma Où les gens viennent te voir Viens, Jef, allez viens, viens! {Refrain:} Viens, il me reste ma guitare Je l´allumerai pour toi Et on s’ra espagnols Jef, viens, viens Comme quand on était mômes Même que j´aimais pas ça T´imiteras l’rossignol Jef, Puis on s’trouvera un banc On parlera d’l’Amérique Où c´est qu´on va aller, tu sais Quand on aura du fric Jef, viens Et si t´es encore triste Ou rien qu’si t’en as l’air J’te raconterai comment Tu d’viendras Rockefeller On s’ra bien tous les deux On r’chantera comme avant Comme quand on était beaux Jef, Comme quand c´était l’temps D´avant qu´on soit poivrots Allez viens Jef, viens Ouais! Ouais, Jef, ouais, viens!
Laurent Sagalovitsch (51 articles)