Paris Match| Publié le 19/03/2017 à 12h00 |Mis à jour le 19/03/2017 à 12h39
Match de tennis improvisé entre jeunes de la cité des Iris, dans les quartiers Nord, la zone la plus pauvre d’Europe. Les ados balancent parfois entre la tentation de l’argent facile et la volonté de s’en sortir honnêtement.Anne-Christine Poujoulat
Faire classe dans ces zones à risque est un défi quotidien. Dans l’éducation nationale depuis plus de vingt ans, Caroline a vu chuter les ambitions. Pourtant, elle s’accroche et y croit encore: ces jeunes trafiquent mais ils ont la niaque. Témoignages.
Au fond, en quarante ans, rien n’a vraiment changé à Marseille, où je suis née. Au début des années 1970, quand j’étais à l’école primaire de la Timone, un quartier ouvrier à l’est de Marseille, il n’y avait certes que deux enfants issus de l’immigration dans ma classe. Le mercredi, avec mon père, nous allions chercher ces fillettes dans le bidonville derrière l’école pour les emmener en promenade. Aucune mère n’était voilée et les pères travaillaient au port autonome en tant que dockers. Comme la plupart des autres Maghrébins, ils avaient été encouragés par le gouvernement à venir en France pour pallier le manque de main-d’oeuvre.
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Bien élevées, vêtements impeccables, Yasmina et Nora parlaient français, étaient bonnes élèves. Seul leur logement en tôle ondulée, où s’entassait la famille de quatre enfants, faisait la différence. Ces espaces de transit existaient aussi dans les quartiers nord, jusqu’à ce que les travailleurs immigrés soient relogés dans des barres de HLM qu’ils ont souvent aidé à construire.
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Mais, en 1976, sans concertation ni vision politique, le «regroupement familial» est décrété par le président Valéry Giscard d’Estaing: les compagnies françaises, Renault en tête, ont fait pression sur l’Etat pour que les ouvriers ne retournent plus chez eux, stabilisant ainsi la main-d’oeuvre. Grâce aux aides sociales, ils font alors venir leurs familles nombreuses qui importent leurs us et coutumes et recréent l’esprit communautaire à l’intérieur des cités.
La cité de la Castellane, où a grandi Zinédine Zidane. © Anne-Christine Poujoulat
A cette époque, cependant, la cohabitation entre familles ouvrières est sereine: il y a du travail pour tous. On s’invite, on s’échange des recettes… En cette fin des Trente Glorieuses, personne n’imagine qu’un chômage endémique va toucher la France et que les premières victimes seront les pères maghrébins et africains.
Le choc est violent; la rupture, impitoyable. C’est un modèle familial qui s’effondre. Une première perte de repères. Dès lors, coupés de la société, sans avenir, quelques-uns de leurs fils abandonnent l’école et se livrent à des petits trafics, avant tout pour nourrir la famille. Ostensiblement, un clivage se crée entre les quartiers nord, appauvris, et ceux du sud, aisés. Chacun reste entre soi, en un accord tacite qui perdure aujourd’hui.
Malgré tout, la géographie de cette ville d’environ 860000 habitants, très étendue et de faible densité, ne crée pas de réelle frontière: cernée par les collines d’un côté et la mer de l’autre, avec son petit centre-ville comme carrefour social, Marseille garde sa mentalité de «village» où la curiosité de l’autre prime sur sa différence. Surtout chez les jeunes. Déjà, quand j’étais ado dans les quartiers chics du sud, on se croisait, on échangeait sans se juger. Le nord, le sud et le centre ne formaient qu’un corps où les énergies circulaient.
Aujourd’hui, ces jeunes sont plus nombreux, plus violents, plus déscolarisés: les trafics ont augmenté car le chômage atteint 50% dans certains endroits des quartiers nord. Mais ils ne restent dangereux que pour eux-mêmes. Les règlements de comptes épargnent toujours les quartiers sud. Parmi ces jeunes de la troisième génération, peu se rêvent en véritables caïds. La plupart espèrent sortir des cités pour travailler, un jour, «en ville». Comme leurs grands-pères…
Caroline prof dans Marseille nord : Elle est professeure des écoles spécialisées dans un collège de refondation de l’éducation prioritaire (Rep+) des quartiers nord de Marseille. Ses élèves de quatrième et de troisième sont des adolescents en échec scolaire et présentés comme « en grande difficulté ». Cette passionnée démontre qu’on peut les accrocher, les hisser, les éduquer.Paris Match.
Caroline enseigne dans un Rep+.© Anne-Christine Poujoulat
Comment êtes-vous arrivée dans ces classes de la dernière chance ?
Caroline. A partir de 1989, j’étais institutrice, du CP au CM2, à Marseille. J’ai fini par m’y ennuyer car j’aime les défis. Je me suis spécialisée pour enseigner avec des enfants en situation de handicap, physique, moteur et social… Surtout social, en fait ! Au départ, je voulais travailler dans un établissement pénitentiaire pour mineurs. Finalement, j’ai trouvé ce collège et je m’y sens utile.
Comment ça se passe ?
Tous les matins, c’est l’aventure, je ne sais pas ce qui va arriver. Je programme mon cours mais, face à des comportements ingérables, à des lacunes scolaires abyssales, je dois improviser et m’adapter à l’hétérogénéité du groupe.
Pourquoi vous, qui avez grandi dans les beaux quartiers du sud de Marseille, êtes-vous attirée par les enfants perdus des cités ?
Ils sont insupportables mais attachants. Ils me font passer des journées difficiles mais je veux les faire progresser, les amener en CAP. Essayer aussi d’être un repère dans leur vie, les éduquer, leur apporter des valeurs, au-delà d’enseigner.
Comment y parvenez-vous ?
J’essaie de trouver un biais pour entrer en contact avec eux : la fermeté, la gentillesse, l’attention. S’il n’y a pas un lien affectif, une mise en confiance, je ne les accroche pas.
Racontez-nous, concrètement.
Par exemple, une de mes élèves est odieuse avec tout le monde. Un jour, je lui lance : “Tu as un beau pull.” Elle ne m’a pas entendue et m’agresse : “Quoi ? Qu’est-ce qu’y a ? – Je te dis bonjour et juste que tu as un joli pull.” Depuis, elle est adorable, je peux tout lui demander. Elle a confiance.
Avez-vous reçu une formation pour les apprivoiser ?
Lors d’une formation d’un an, on assiste à des conférences sur les façons de gérer les handicaps sociaux. Difficile de les appliquer. Moi, je ne pense pas avoir besoin de livres. C’est inscrit dans mon caractère.
Sauvé par un enseignement adapté à ses difficultés, il s’en est sorti, ainsi que ses huit frères et sœurs.© Anne-Christine Poujoulat
Quelle est l’ambiance en classe ?
Les élèves se cherchent toute la journée, se moquent, s’insultent : “Il m’a regardé, il m’a dit : ‘Ta mère !’ ” Et ça part. Une gamine n’arrêtait pas d’ennuyer un gamin, plus renfermé. Elle lui répétait en rigolant : “T’es pas beau…” Il ne répondait pas. Et, soudain, il s’est levé et lui a mis une gifle.
Comment avez-vous réagi ?
Je n’insulte jamais, mais je dis avec force : “Ici, c’est pas la cité, c’est moi qui commande. Tu vas m’obéir sinon je te mets dehors.” Quand le gamin répond : “Essayez, je m’en fous”, je rétorque d’une voix blanche : “Attention, tu vas perdre.” Parfois, je prends leur sac et je le jette dans le couloir parce qu’ils ne veulent pas sortir. Alors ça devient : “Touchez pas à mon sac, c’est pas vous qui l’avez payé ! – Tu vas voir, je vais faire une note à ta mère ! Dis-lui de venir, je vais lui expliquer ton comportement !” C’est une lutte permanente. Un combat aussi pour qu’ils viennent en cours. Je leur répète que pour s’en sortir dans la vie, il est nécessaire d’avoir une formation, un métier, de l’argent…
Vous vous entraidez entre professeurs ?
Nous sommes dix à rabâcher la même chose. On échange des infos sur les cas les plus durs ; aucun enseignement ne leur plaît, ils ne comprennent pas à quoi ça sert. Ils veulent rester dans la cité avec les copains. Pour dealer, pour “charbonner”. Beaucoup me disent que, en bas de leur immeuble, ils gagnent le double de mon salaire et c’est vrai…
Pourraient-ils ne pas venir du tout ?
C’est souvent le cas. Mais comme l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, les parents reçoivent des recommandés du Conseil général pour absentéisme puis une convocation chez les flics pour un rappel à la loi. Ce qui ne sert à rien ; les familles s’en désintéressent au point de ne même pas venir aux réunions de prérentrée… Sur nos 60 élèves (15 par classe), il n’y a que trois parents qui y assistent !
Comment vivent ces familles ?
La plupart sont sans travail et restent à la maison. Beaucoup de familles monoparentales aussi, sans le sou, végètent dans les pires cités de Marseille.
Et vous, vous avez envie de sortir ces enfants de là.
Il faut voir ce qu’ils vivent ! Tout enfant qui grandit dans ces cités devient forcément un délinquant ; les parents ne leur parlent pas et les mettent dans la rue avec les grands frères qui dealent toute la journée. Leur seul espoir d’en sortir, c’est par l’école. Dans notre collège, en bordure des cités, il y a 500 gamins. Certains sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ont un casier judiciaire et manquent l’école car ils sont chez les flics pour deal, agression, vol.
Etes-vous déjà allée dans ces cités ?
Jamais. Je reste dans le collège car je représente le cadre dont ils ont besoin, qui les rassure. Comme tous les enfants, ils y sont bien, même s’ils s’en défendent.
Avez-vous parfois peur de représailles de leur part ?
Non. Ils ne m’ont jamais touchée et je ne les touche pas non plus. On est dans la négociation permanente. Je les pousse dans leurs retranchements et quand je sens que j’atteins la limite, j’arrête. J’instaure des règles : “On rentre en silence en classe, on me donne le carnet, c’est comme ça, pas autrement.” Lorsque certains me répondent : “Je vous le donne pas”, je leur rétorque : “Tu ne rentres pas !” Ce carnet de correspondance, c’est comme un passeport. Il représente le passage entre la cour et la classe. C’est le temps du début. Il me permet d’asseoir mon autorité. De même, ils n’ont pas le droit de se lever : s’ils veulent des feuilles de classeur ou des stylos, ils me les demandent. Sinon, ils trouveraient encore un prétexte pour se disputer. Quand il y en a un qui s’allonge au milieu de la classe, soit je le relève moi-même, soit je le laisse, je ne vais pas faire perdre du temps aux 14 autres…
Est-on déjà un voyou à 12 ans ?
Dès 8 ans, ils sont assis à l’entrée de la cité et guettent, téléphone à la main. Les filles aussi sont violentes. Parfois pires que les garçons. Il m’arrive de leur dire : “Vous êtes des filles, essayez de parler comme des filles.”
Ardani Soihibou avec une partie de sa famille sur le quai de la gare Saint-Charles. © Anne-Christine Poujoulat
Regardent-ils des vidéos de Daech ?
Je ne sais pas. En revanche, ils jurent sur la tête d’Allah, sur le Coran. Pendant le ramadan, sur une classe de 15, il n’y a que 2 élèves en cours. Certaines filles sont voilées et retirent leur foulard à l’entrée du collège. Avec eux, la religion est un sujet inabordable. Si ça vient sur le tapis, je fais semblant d’éluder. Ils se vantent d’être musulmans, se sentent du bled, pas français… Même si, sur leur fiche individuelle, ils ont tous écrit : nationalité française.
Les maths que vous enseignez sont un langage universel, ce doit être plus facile pour eux d’accéder à ce savoir…
Ils ne savent même pas se servir d’une calculette ! Je leur donne des outils pour leur permettre de devenir plus autonomes. Connaître le prix d’un jean en soldes, par exemple. Ils ne savent pas non plus comment on rend la monnaie. Ils sont capables d’affirmer qu’Aix-en-Provence est à huit heures de route de Marseille ! Ils ne sortent jamais de leur cité !
« Je veux gagner, je veux que mon message social ou éducatif soit retenu. »
Votre marge de manœuvre est réduite…
Je les aide pour qu’ils puissent se dire en fin de troisième, à 14 ou 15 ans : “Je sais écrire une lettre, lire une petite annonce, m’orienter dans un transport.” Mais je ne vise pas le bac. Mon échec serait de ne pas les faire entrer en CAP.
Y a-t-il une recrudescence de ces cas sociaux ?
Non. Mais à l’échec scolaire s’est ajoutée la violence. Récemment, un élève a planté un coup de couteau à une autre. Sans la tuer. C’était à la sortie. Ils sont à vif. A l’intérieur du collège, on a heureusement des médiateurs pour apaiser les tensions.
Qu’est-ce qu’une “bonne journée” pour vous ?
Quand des élèves me disent : “J’ai compris.” Je les valorise tout le temps. Si le rapport de force s’installe, je le détourne : “Tu as raison mais c’est pas le moment. Je te promets qu’à la fin de l’heure on en parle.” Et je le fais. Parce que, si moi j’ai oublié, eux non. S’ils continuent, j’insiste : “La dernière fois, on en a parlé. Fais-moi confiance.” Et ça marche.
Qu’est-ce qui vous fait tenir ?
Ce n’est pas une vocation. C’est juste mon boulot et je suis plutôt bien payée, 3 000 euros plus des primes. Je veux faire les choses correctement. Je ne manque pas la classe par exemple. Ça me gênerait vis-à-vis d’eux. Au bout de vingt ans de carrière, dont neuf ans en Segpa et Rep+, face à une classe de disjonctés, je sais quoi faire. J’ai appris à parler leur langage.
Votre métier rejaillit-il sur votre vie privée ?
Je cloisonne. Une fois que j’ai fermé la porte de ma classe, je n’y pense plus. Et quand j’y vais, je n’ai jamais la boule au ventre. Les gamins que je préfère sont les “borderline”, pas encore tombés du côté obscur. Quand je les repère, je me dis : “Toi, je ne vais pas te louper !” Je sais qu’ils sont encore “sauvables”.
C’est ce qui vous stimule ?
Je veux gagner, je veux que mon message social ou éducatif soit retenu. Un exemple : un mercredi, dans un magasin, je croise un de mes élèves habitué à voler. Je l’interpelle : “Ça va, Ramdane ?” Il devient blême : “Madame, je vous jure, j’ai pas cours !” Il culpabilise, je me dis : “Lui, c’est bon…” Je sème des petites graines en espérant qu’elles pousseront. Comme un jeu.
Connaissent-ils la frontière entre le bien et le mal ?
Oui. Ils savent que ce qu’ils ont fait est répréhensible mais ils ne peuvent pas s’en empêcher. Ils sont envahis par des sentiments de colère et d’injustice et retombent dans leur comportement déviant. Au collège, l’assistante sociale et l’infirmière sont débordées. Et impuissantes, sauf quand le gamin est en extrême urgence, quand il est violé tous les matins, par exemple. A ce moment seulement, on lance une information préoccupante au Conseil général qui envisage si son cas justifie une enquête sociale et si un juge doit être saisi.
Les fléaux des cités s’exportent jusque dans l’école… Comment lutter ?
Depuis cette année, les profs signalent ceux qui peuvent être fichés S. Mais si ces ados sont très identifiés à l’islam, ils ne sont pas radicalisés. Ce qui m’inquiète le plus se situe au plan de la société : ces délinquants gangrènent maintenant le reste de la ville. Ils sont de plus en plus violents et nombreux et il n’y a ni sanction ni aide. La police n’a pas les moyens d’absorber 40 dossiers par jour. Les procédures sont longues à mettre en place et la réponse judiciaire à un vol est un simple rappel à la loi. L’idéal serait non pas de les enfermer mais de les sanctionner par des travaux d’intérêt public, comme nettoyer les rues. Pour les éduquer, il faut leur mettre des limites, ainsi qu’aux parents : ces enfants ne se sont pas inventés délinquants en sixième. Dès le CP, certains ne vont pas à l’école ! Moi, à mon niveau, je les punis en leur donnant une heure de cours supplémentaire ou en les privant de récréation…
C’est un problème culturel ?
Dans nos classes, on a deux Blancs. Les autres sont d’origine africaine, gitane, maghrébine. Une petite Gitane, qui est d’ailleurs persuadée que la “Gitanie” existe, est violente. On a fait venir le papa qui l’a apostrophée devant nous : “Quand tu auras 16 ans, tu arrêteras l’école et on te trouvera un mari !” Elle ne sortira pas de son milieu.
Mais certains y parviennent…
Oui. Hashim était en perdition, on l’a quand même casé en CAP. Magali est devenue caissière dans un supermarché ; Kelly a passé son CAP boulangerie et loue un studio hors de la cité. Ils sont intéressants, ces gosses. Avec quelques collègues, nous avons envie de rallumer l’espoir, de mettre en place d’autres codes sociaux que ceux des cités. Nous ne sommes pas profs dans l’âme car il faut être un peu rock’n’roll, un peu fous comme eux pour que ça marche !
Ardani Soihibou 22 AnS Sauvé par un enseignement adapté à ses difficultés, il s’en est sorti, ainsi que ses huit frères et sœurs.© Anne-Christine Poujoulat
« Troisième d’une famille de neuf enfants, je suis né à Mayotte. J’ai 6 ans quand nous rejoignons notre grand-mère à la cité de la Cayolle, à Marseille. A l’école primaire, j’entre en classe d’adaptation car je mélange le français et le maori, ma langue maternelle. A cette époque, je me découvre une passion pour le foot. Chaque soir, je joue avec les petits du quartier, je me défoule et je progresse. En CM2, on me place en Segpa (section d’enseignement général et profession- nel adapté), au collège Sylvain-Menu, où je reste de la sixième à la troisième. Jusqu’à la fin de la cinquième, je suis très dissipé. Puis mes parents se séparent.
C’est le foot qui me sauve. J’ai la chance d’être repéré par un centre de formation. Je suis aujourd’hui attaquant. Outre le foot, le collège en Segpa me permet de changer. L’enseignement est excellent. C’est nous, les élèves, qui n’y mettons pas du nôtre. Le Segpa, c’est le mot qui vexe. A force de se faire traiter de fous, on se montre méchants. Mais, en quatrième et en troisième, je m’assagis. Les profs me recadrent de façon juste. Surtout notre prof d’atelier. Il nous explique qu’il y a une vie en dehors de la cité. Une fenêtre s’ouvre. J’ai envie d’être plus sérieux. Il répète que nous sommes des petits poissons dans un monde de requins. La seule solution pour s’en sortir est de prendre sa vie en main pour devenir autonome. Un ami d’une cité voisine me parle de son travail de paysagiste et je signe un contrat d’apprentissage dans ce milieu. En juillet dernier, j’ai obtenu mon CAP de paysagiste.
J’en suis fier. C’est un vrai diplôme d’Etat. Je suis enfin comme tout le monde. Je commence à mettre de l’argent de côté. Aujourd’hui, j’interviens au collège Sylvain-Menu, face à des classes de Segpa. Ce collège m’a beaucoup marqué. Chaque fois que je passe devant, je vais voir les anciens profs que je remercie. Un jour, la directrice m’a demandé d’intervenir dans l’amphithéâtre pour montrer aux élèves qu’on peut avoir un avenir. A leur âge tout peut basculer. J’ai accepté car j’aimerais les empêcher de devenir délinquants, les convaincre qu’ils ont leur place dans la société. Mon message ? Il faut se donner l’envie de réussir et ne pas écouter ceux qui disent qu’avec la drogue on peut se faire plein de sous. Quand on rentre dans la drogue, on met la famille en danger. On va en prison, on balance et, à la sortie, on finit avec une balle dans la tête. Je les préviens du danger car ils n’en ont pas conscience. L’argent de la drogue est si facile à gagner. Eux sont petits quand ils commencent. Même pas 11 ans. Je les connais bien. J’utilise le Segpa pour m’exprimer en terrain neutre.
Dès le mois de mars, je vais normalement aller jouer dans une grande équipe de foot en tant que professionnel stagiaire. Ma copine m’accompagnerait. Je suis avec elle depuis trois ans et elle m’aide beaucoup.
En attendant, je passe le Bafa animateur et j’ai déjà validé la première partie. C’est aussi ce que je raconte aux élèves de Sylvain-Menu… »