Les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale en Europe sont les plus sanglants et les plus destructeurs de tout le conflit. Chaque jour, en moyenne, 30 000 êtres humains perdent la vie. De cette orgie de mort, Hitler est le grand responsable. Diminué par la maladie, traqué, contesté ou haï par son peuple même, réduit à vivre sous les bombes dans un trou humide, il continue néanmoins à alimenter le brasier. Extrait de « Les cent derniers jours d’Hitler », de Jean Lopez, aux Éditions Perrin (2/2).
Bonnes feuilles
Publié le 30 Avril 2017À minuit, Hitler commence à faire ses adieux à son entourage, une trentaine de personnes au total. Il remercie d’abord son majordome, Heinz Linge, à son service depuis dix ans. Il lui confie une dernière mission : « Préparez dans ma chambre des couvertures de laine et assez d’essence pour deux crémations. Je vais me tuer avec Eva Braun. Vous envelopperez nos cadavres dans les couvertures, vous les monterez dans le jardin et les brûlerez. » Il ajoute que tous ses biens personnels présents dans le bunker doivent disparaître, sauf le tableau de Frédéric le Grand dont il fait don à Hans Baur, son chef pilote.
À 1 h 30, Hitler réunit ses collaborateurs et tient un petit discours d’adieu.
Il les délie de leur serment de fidélité à son égard et leur conseille de percer vers les lignes américaines ou britanniques. À 2 heures, il salue les médecins et les infirmières qui officient jour et nuit dans les abris souterrains publics de la chancellerie.
À 2 h 30, Keitel et Jodl scellent le destin d’Hitler en répondant à son dernier message. « 1) Les pointes de Wenck sont immobilisées au sud du lac de Schwielow. Violentes attaques soviétiques sur tout son flanc est. 2) De ce fait, la 12e armée ne peut pas continuer son attaque vers Berlin. 3) La masse de la 9e armée est encerclée […]. 4) Le corps Holste est contraint à la défensive de Brandebourg à Kremmen en passant par Rathenow. »
Les jeux sont faits. Aucun espoir, aucune illusion ne demeure. Néanmoins, soupçonnant une trahison de Keitel et Jodl – pourtant fidèles entre les fidèles –, Hitler fait envoyer par Bormann un message à Dönitz lui demandant de sévir sans pitié contre tous les traîtres, aussi haut soient-ils placés.
À 6 heures, Hitler fait venir le général Mohnke qui commande les SS chargés de défendre l’accès à la chancellerie. Il le reçoit en pyjama et pantoufles, une robe de chambre de soie noire sur les épaules. « Combien de temps pouvez-vous encore tenir ? » lui demande-t-il. « Vingt-quatre heures, mon Führer, pas plus. » Puis l’officier fait un état exact de la situation : « Les Russes ont atteint la Wilhelmstrasse, ils sont dans les tunnels du métro sous la Friedrichstrasse et aussi sous la Vossstrasse [où se trouve la chancellerie], la plus grande partie du Tiergarten est entre leurs mains et ils combattent sur la Potsdamer Platz à trois cents mètres de nous. » Quatre heures plus tard, Weidling, qui commande l’ensemble des forces à Berlin, provoque une réunion secrète de ses chefs d’unité et décide, avec leur accord, de tenter une percée le soir même, en violation des ordres du Führer. À la fin de la réunion, à sa grande surprise, un officier SS se présente à lui et l’informe que le Führer lui donne carte blanche. Cet ordre sera contremandé par le général Krebs deux heures après la mort d’Hitler.
À midi, Hitler répète à Otto Günsche, son aide de camp SS, qu’il « ne veut pas que son cadavre soit exhibé par les Russes dans un musée de cire ». Et il lui confie la mission – brûler son corps jusqu’au dernier fragment – dont il a déjà chargé son majordome, Heinz Linge, et son chef pilote, Hans Baur. À 13 heures, Hitler prend son dernier repas – des spaghettis à la tomate – avec les deux secrétaires et, peut-être, la cuisinière, mais sans son épouse.
À 13 h 30, Günsche appelle Kempka, le chauffeur d’Hitler, et lui ordonne de trouver immédiatement deux cents litres d’essence. Kempka siphonne les réservoirs des véhicules du garage souterrain de la chancellerie.
À 13 h 50, l’infanterie soviétique donne l’assaut au Reichstag. Le premier drapeau soviétique sera hissé sur le monument vers 20 h 50.
À 14 heures, Hitler fait une dernière série d’adieux, d’abord aux Goebbels et à Hans Baur, puis à tous ceux qui sont restés autour de lui. Baur lui tend une dernière perche : « Il y a encore des machines pour vous emmener en Argentine, au Japon, ou bien vous pourriez disparaître chez un de ces cheiks du Sahara qui ont toujours été bien disposés à votre égard du fait de la question juive et qui, durant la guerre, nous ont souvent approvisionnés en café. » Hitler répond : « J’ai encore deux possibilités : aller dans les montagnes ou chez Dönitz, à Flensburg.
Dans quinze jours, j’en serais au même point qu’aujourd’hui. […] La guerre se termine avec Berlin, je demeure et je tombe avec Berlin. On doit avoir le courage d’en tirer les conséquences – j’en finis ! […] Les Russes savent exactement que je suis dans le bunker et je crains qu’ils ne tirent des obus à gaz. Nous avons développé durant la guerre un gaz qui anesthésie durant vingt-quatre heures. Nous savons par nos services de renseignements que les Russes aussi ont ce gaz. Il est inimaginable qu’ils me prennent vivant. […] Alors j’en finis aujourd’hui ! » Hitler accorde un entretien de dix minutes à Magda Goebbels et la salue en lui offrant son insigne d’or du parti nazi. Goebbels arrive à ce moment et supplie Hitler de se laisser exfiltrer par un groupe de Jeunes hitlériens. Il essuie un refus poli.
À 14 h 30, Hitler fait ses adieux au contre-amiral Voss et, à travers lui, à Dönitz, son successeur. Au cours de dix minutes de conversation, il livre une déclaration étonnante, du moins si l’on en croit les sources soviétiques. « J’ai compris quelle erreur fatale j’ai commise en attaquant l’Union soviétique. Je n’aurais jamais imaginé que Staline pouvait à ce point inoculer ses idées à son peuple. Il faut être un génie de la politique et de la stratégie pour pouvoir organiser son peuple dans des conditions si défavorables et au milieu d’un combat sans précédent, comme ça a été le cas à Moscou, Stalingrad et Leningrad. Et Staline s’est révélé l’homme capable de faire ça. Si j’avais la chance de vivre encore et de diriger l’État, je prendrais toujours exemple sur lui. » Hitler prie Voss de « transmettre par tous les moyens à Dönitz » sa volonté de ne traiter qu’avec Staline. Devant Mohnke, le matin même, il avait aussi tressé des louanges au bolchevisme : « Les démocraties occidentales sont décadentes et elles ne sauront pas être à la hauteur de ce jeune peuple intact de l’Est auquel convient exactement la dure main du système communiste. »
À 15 h 15, Hitler rappelle encore à son majordome ce qu’il a à faire de son cadavre. Il lui conseille de tenter une percée vers l’ouest « avec tous les autres ». Linge s’enhardit à lui demander : « Mais pour qui maintenant devons-nous percer ? » « Pour celui qui viendra », répond Hitler. Il serre enfin la main de son majordome et, pour la dernière fois, fait le salut nazi. Linge ferme la porte de l’appartement privé et Otto Günsche, aide de camp SS du Führer, en barre l’accès.
Aux alentours de 15 h 30, Eva Braun se donne la mort par le poison et Hitler se tire une balle dans la tempe droite. Selon les témoignages de Linge et d’Axmann, les deux corps demeurent assis, les yeux mi-clos, sur le sofa à fleurs, dans le petit salon attenant à la chambre du Führer. À terre, les deux armes personnelles d’Hitler, un Walther PPK 7,65 mm (celle qui l’a tué) et un Walther 6,35 mm. Linge et Bormann pénètrent les premiers dans la pièce, suivi de Günsche. Avec une douzaine de SS, ils évacuent les deux cadavres, celui d’Hitler enroulé dans la couverture prévue.
Au passage des dépouilles, Axmann, Goebbels, Krebs et Burgdorf lèvent le bras.
À 15 h 50, au milieu des salves d’artillerie soviétiques, Günsche fait déposer les deux cadavres à trois ou quatre mètres de l’entrée du bunker. Il les fait arroser d’essence et y met le feu. Les corps brûleront durant quatre heures, moyennant deux cents litres d’essence supplémentaires. Vers 20 heures, les restes seront hâtivement enterrés à proximité du foyer, dans un trou d’obus.
À 16 heures, la 7e armée américaine entre dans Munich, siège officiel de la chancellerie du parti nazi, où Hitler avait commencé sa carrière politique, vingt-cinq ans plus tôt.