Katy Waldman, traduit par Peggy Sastre — 12.05.2017
La colère incontrôlable du président américain nourrit sa cruauté, et son incompétence.
Donald Trump a la rage. Il n’est pas content que l’Amérique soit obsédée par «la fable russe». Il est tout colère que nous soyons perturbés par de possibles liens entre sa campagne et une puissance étrangère hostile. Il bout devant le Comité judiciaire du Sénat et son insistance (quelle insolence!) à vouloir enquêter sur son équipe. Selon un article de Politico qui le décrit comme un être «exaspéré» et «écumant», il lui arrive même de hurler devant sa télévision dès qu’elle parle de l’enquête. Il envoie des tweets furieux: «L’histoire de la collusion entre Trump et la Russie est totalement bidon! Quand est-ce que cette arnaque financée par l’argent du contribuable va-t-elle cesser?»
Que Trump soit «enragé» est un détail invraisemblable qui en est venu à prendre toute la place. L’homme est furax, fumasse, furibond, hystérique, hargneux, irritable, cinglé le jour, cinglé la nuit, taré à pied, à cheval et en voiture. La colère du président, sa caractéristique essentielle, ne correspond pas à l’air du temps politique. Elle nous ramène à l’archaïque, au mythologique, à la colère d’Achille. Comment être aussi «furieux» d’une enquête qui a déjà débusqué de nombreux lièvres sur les agissements de votre équipe? Quand vos alliés ont déplacé des montagnes pour les camoufler? Qu’y-a-t-il de si horripilant à ce que les Américains aient envie de savoir si un pays autoritaire a farfouillé dans leurs élections? Un homme qui n’a rien à cacher serait offensé, celui qui a des secrets se sentirait coupable ou serait angoissé, mais pourquoi fulminer ainsi? L’éréthisme de Trump n’est pas la réaction d’un politicien conventionnel. Nous sommes devant la folie d’un roi courroucé par la désobéissance de ses sujets.
Sans déconner
Mardi, cette frénésie s’est incarnée dans le geste trumpien le plus fameux: un renvoi. Se reportant à un mémo du Département de la justice qu’il avait lui-même commandé, le président a éjecté James Comey du poste de pilotage du FBI –l’agence scrutant au microscope la campagne de Trump. Dans Slate, Phillip Carter qualifie la manœuvre d’ «exécution publique» et estime que «l’affaire est dans le sac»: le président des États-Unis a déclaré «la guerre à la justice». Sean Spicer a eu beau jeu de se cacher dans les buissons de la Maison-Blanche, désormais bien avancée du côté obscur, avant de tenter expliquer la décision de son patron et rassurer l’opinion.
Dans l’entourage du président, on était persuadé que Républicains et Démocrates allaient sauter de joie à la révocation de Comey. L’ex directeur du FBI n’était pas populaire. Les partisans de Hillary Clinton lui en voulaient d’avoir offert l’élection à Donald Trump. Avec son départ, l’administration pensait contenter tout le monde.
Sans déconner?
Il serait facile de mettre une telle courte vue sur le dos de la stupidité ou de l’ignorance du président américain. Mais ses motivations sont en réalité bien plus profondes. Il veut voir disparaître cette histoire d’ingérence russe. Et cela ne relève pas seulement du pragmatisme politique. Ces accusations rognent sa légitimité, grignotent l’image qu’il se fait de lui-même. James Comey a le pouvoir de faire cesser ces attaques, Trump ne l’a pas. Dès lors, Comey énerve Trump et sa rage, telle un réacteur nucléaire en fusion, irradie tout ce qui émane de la Maison-Blanche. Selon le New York Times, les conseillers de Trump doivent se conformer à un rituel de débinage de l’enquête du FBI pour «apaiser un président irascible et angoissé». Selon le Washington Post, Trump était «énervé» par le manque de sollicitude de Comey, il était «frustré» par son témoignage et «exaspéré» par le peu d’attention accordé aux fuites. Il ne pouvait pas faire autrement.
Une forme de génie
Visiblement, la solution aura été instinctive –virer le type qui menace le plus votre fonction n’est peut-être pas la chose la plus censée à faire sur le long-terme, mais dans les dix minutes, ça soulage. (Quant à la télé, lui crier dessus ne lui fera ni chaud ni froid). Les griefs de Trump semblent mixer de réelles menaces contre la république et de bonnes grosses colères de bébé. Trump est-il maléfique? Est-il tout simplement le dernier des abrutis? Est-il le dictateur qui élimine les contre-pouvoirs l’un après l’autre ou le pilier de bar qui éructe devant le journal télévisé?
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En réalité, cette question a toujours été la pire à se poser. En observant Trump, nous avons passé trop de temps à nous demander s’il était un génie ou un bouffon –s’il avance ses pions sur un échiquier à onze dimension ou s’il bave dans sa robe de chambre en jouant à «jour/nuit» avec les interrupteurs de la Maison-Blanche. La vérité, c’est que le président est dans un état de rage perpétuelle, qui parfois lui explose au visage et parfois huile les mécanismes de la fonction suprême. Le courroux de Trump est une forme de génie, et pas seulement parce qu’il passe ainsi pour le joker auprès de tous les Américains exténués par le statu quo. Durant la campagne, cette sempiternelle acrimonie aura permis de braquer les projecteurs sur lui dès qu’il pestait sur le marigot de Washington ou sur les clandestins voleurs d’emploi. Alors que son adversaire mettait l’accent sur l’unité, il faisait scander «foutez-la en taule» à ses meetings. Sur l’abrogation de l’Obamacare (Trump déteste Obama, son sang-froid et son respect pour la Constitution en font son exact opposé), il l’a jouée au petit bonheur la chance, avec un relatif succès.
Son talon d’Achille
Sauf que sa colère d’Achille est aussi son talon d’Achille. Ses décrets rédigés à la va-vite et ses violations irréfléchies des normes diplomatiques ont déjà terni sa jeune présidence. Il y a eu ses trépignements sur le nombre de personnes présentes à son investiture, ses cris aux «fake news» (cris au loup pour certains, à propos pour d’autres). Lors de sa campagne, beaucoup a été dit sur la rhétorique incendiaire du magnat, écho à la colère des classes laborieuses blanches. Par contre, nous avons mis du temps à réaliser qu’il ne s’agissait pas d’une posture –il n’y avait pas de «vrai» Trump attendant de se révéler une fois passées les solennités du 20 janvier. Pour le meilleur ou pour le pire, sa folie est son être-au-monde.
Et voilà où nous en sommes. Que la Maison-Blanche ait pu virer Comey pour une autre raison que le caviardage de l’enquête sur les ingérences russes dans la campagne (ou pour punir l’arriviste qui se targuait un peu trop de la victoire de Trump), cela dépasse l’entendement. Tout autre interprétation –par exemple, que Trump a pu virer Comey pour venger une femme qu’il qualifiait lui-même de «Hillary la pourrie»– est parfaitement stupide. Les déchaînements de violence émotionnelle du président –parfaits pour cacher le Kremlin sous le tapis– ont généré ce qui relève très probablement, pour les États-Unis, d’un bordel historique.
Le problème avec une doctrine de la colère –que ce soit chez le président ou ailleurs– c’est qui semble logique pour une cervelle en feu peut paraître absurde pour un observateur extérieur. Dans leur maladresse spontanée, les excuses du gouvernement ont au moins une qualité: elles montrent que le président a tellement envie de voir disparaître le problème Poutine qu’il est prêt à faire proprement feu de tout bois (et de péter de nouveau les plombs si personne ne gobe ses entourloupes). «Ne regardez pas vers la Russie!», hurle Donald Trump et, évidemment, nos yeux demeurent fixés sur Moscou. Une terreur aussi transparente est contagieuse: cette semaine, les sénateurs républicains ont essayé d’orienter les audiences sur le décret anti-musulmans, les fuites et les mails de Clinton –tout sauf les liens entre Trump et la Russie. Au bout d’un moment, on sort de la stratégie. On est devant un gamin qui se cache les yeux pour voir disparaître l’objet de sa hantise. Trump est peut-être un politicien, mais c’est aussi un homme consumé par une colère éperdue et narcissique. Gratter ce qui le démange sera toujours son objectif numéro un.