Goal.com•1 nov. 2017 à 08:46
Le Real Madrid mouture 2017/2018 ne marque pas. Ni les esprits, ni les buts. Pas assez en tous cas. La logique cartésienne du football, ce sport tellement empreint de folie, veut que ce soient toujours les attaquants qui trinquent dès que la source de buts se tarit. Aussi logique qu’une récompense individuelle dans un sport collectif, le blâme est distinct, spécifique, particulier, vindicatif, mais pas collectif. Mais le débat, ce n’est pas le Ballon d’Or. Le débat, c’est Benzema.
Un joueur condamné à susciter le débat de manière endémique. C’est son profil qui veut ça. Et sa position, si inconfortable dans le football actuel, celle d’un attaquant qui ne marque pas. Un buteur altruiste qui fait marquer les autres. Une position qui se confond souvent dans les contours douloureux de celle de bouc-émissaire. Attaquant surcoté ou meilleur complément de Ronaldo ? Pièce vraiment essentielle du puzzle offensif de Zidane ? Quelle place pour un joueur loin du profil du travailleur de l’ombre, mais qui ne semble pas vouloir sa part de lumière ? Un clair-obscur qui ressemble de plus en plus à un crépuscule, alors que la CIA (Cristiano-Isco-Asensio) pousse de plus en plus une BBC instable et sous-performante vers la sortie. D’autant que le Français affronte le très prolifique Harry Kane à Wembley et souffre forcément de la comparaison avec l’Anglais, qui lui est plus serein que jamais.
Dans de telles situations, quand il faut trancher, on s’aide des statistiques, ces nomenclatures corsetées qui renforcent ou parfois se substituent à l’analyse. Et celles de Benzema cette saison ne sont pas fameuses. Les chiffres de La Liga sont assez éloquents, mais assez peu flatteurs. Benzema a, certes, réussi 110 passes cette saison en championnat avec un taux de réussite qui culmine à 81%. La longueur moyenne de ses passes n’excède pas les 12.33 mètres, ce qui dénote d’une volonté de chercher à combiner et à construire dans les petits espaces. Mais le Français n’aura effectué que deux passes décisives et n’aura créé que 13 opportunités pour ses coéquipiers, lui qui avait été blessé contre Levante le 9 septembre et n’avait effectué son retour que début octobre. De fait, Benzema ne compte que… 11 tirs au but cette saison en championnat. Pour un ratio de tirs cadrés de 43%. Et un seul petit but. C’est peu. Même dans son rôle de « 9 et demi ». Un rôle « hybride ». Comme un véhicule propre qui prend soin de son environnement, là où certains veulent voir « Benz » rouler des mécaniques et enclencher le turbo.
D’aucuns argueront que Benzema, c’est un peu Robin, dont la seule vocation est d’aider son Batman de Cristiano Ronaldo à châtier les gardiens qui s’aventureront à l’intérieur des remparts de Bernabeu. Et si Benzema a autant perduré au Real, résistant au baroud d’honneur de Raul, au sens du but aiguisé d’Huntelaar, à l’ébourriffant et débridé volume d’Higuain et plus récemment à l’opportunisme létal de Morata, c’est qu’il a quelque chose que les autres buteurs n’ont pas. S’il peut faire preuve d’une maladresse confondante devant le but adverse, d’une innocuité stupéfiante face à des adversaires plus faibles et des occasions toutes faites, Benzema peut aussi dribbler trois rugueux colchoneros dans un mouchoir de poche dans le très inhospitalier Vicente Calderon pour envoyer le Real en finale de Ligue des champions. Et surtout, il apporte l’équilibre, une denrée très rare dans les supers clubs.
« Karim ne va pas marquer 60 buts par saison. Il va en marquer 25 ou 30, et distribuer 30 ou 40 passes décisives. Pour moi, c’est plus important » – Zidane.
L’une des plus grandes qualités de Benzema, c’est sa lecture tactique. Et son intelligence. Il a compris qu’en jouant bien son (second) rôle il pouvait être bien plus utile à l’équipe qu’en quêtant le feu des projecteurs à travers le but occasionnel. Nous avons vu contre Eibar, sur le but de Marcelo, à quel point il peut être précieux dans le jeu. En quelque sorte, c’est un joueur qui de par son style, se condamne lui-même à être le préféré des entraîneurs et le moins apprécié des profanes. Zidane, ulcéré par les ciritiques d’un Gary Lineker sur son attaquant, l’avait d’ailleurs clamé en conférence de presse. « Karim ne va pas marquer 60 buts par saison. Il va en marquer 25 ou 30, et distribuer 30 ou 40 passes décisives. Pour moi, c’est plus important ».
Le revers de cette médaille, qui, à bien y regarder, ne compte pas vraiment d’effigie, c’est que quand Ronaldo ne marque pas, quand les buts ne suivent pas, on s’en prend toujours à Benzema. Sa contribution personnelle, déjà succincte, souvent voilée par son rôle, est encore plus ternie. Dans le diktat des stats, dans un microcosme footballistique où le versant analytique est de plus en plus parasité, phagocyté, par la technologie de pointe, l’apport, de Benzema, déjà intangible par nature, devient très difficilement quantifiable.
Néamoins, en prenant en compte le contexte d’un Real loin des attentes générées par son doublé la saison dernière, on peut parvenir à délimiter sa responsabilité personnelle dans l’indigence du compartiment offensif. Benzema, comme tous ses coéquipiers, est loin de son niveau habituel. Et sans les James et Morata pour jaillir du banc, ses occasions manquées suffisent à le mettre au pilori (car c’est un fait avéré : l’équipe B du Real manque beaucoup à l’équipe A cette saison). Benzema est insuffisant et à l’aune de son immense talent, même dans un navire merengue qui tangue autant, il peut faire largement mieux.
Il y a ceux qui vous sortiront la stat qui veut que sur l’année 2017, Benzema a inscrit seulement un but de plus que Zlatan Ibrahimovic (qui n’a pas joué depuis le 22 avril 2017 pour cause de blessure). D’autres vous passeront en boucle son exploit face à l’Atlético Madrid ou son offrande pour Marcelo contre Eibar. C’est comme ça. Benzema divisera toujours. Mais ne régnera pas.