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Webnews | Le 07 janvier, 2018
Trois ans après l’attaque contre Charlie Hebdo lors de laquelle douze personnes, dont sept membres de la rédaction, ont été exécutées et onze autres blessées, l’hebdomadaire satirique a publié mercredi 3 janvier un numéro en forme de bilan. Les journalistes racontent leur quotidien compliqué et font part de leurs craintes. Ils regrettent aussi que les coûts exorbitants consacrés à la sécurité restent à la seule charge du journal.
« Trois ans dans une boîte de conserve », telle est l’accroche de la plus récente Une de Charlie Hebdo, une couverture qui nous montre un homme à la mine rageuse barricadé derrière une porte blindée lancer à travers le guichet entrebâillé à un jihadiste présumé « Le calendrier de Daech ? On a déjà donné. » Le dessin est signé Riss, l’actuel directeur de la rédaction de Charlie qui est aussi l’un des survivants de l’attaque du 7 janvier 2015. Blessé à l’épaule ce jour-là, il a succédé dans ces fonctions à Charb, l’un des sept membres de la rédaction de Charlie (avec Cabu, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat et Bernard Maris) exécutés par les terroristes il y a trois ans, lors de l’attaque qui a fait douze morts et onze blessés au total dans le 11e arrondissement de Paris.
Trois ans après, ce numéro 1328 de Charlie Hebdo fait le bilan à travers plusieurs articles dans lesquels les auteurs évoquent les difficultés d’une vie quotidienne rendue extrêmement compliquée en raison des lourdes menaces qui continuent de peser sur la publication et aussi de leurs craintes pour eux, leurs proches et même par rapport à la viabilité du journal sur le long terme. Ceux dont la vie est la plus perturbée sont ceux qui ont fait l’objet de menaces de mort et qui sont accompagnés en permanence – c’est à dire 24 heures sur 24, 365 jours par an – d’au moins deux policiers en armes de la SDLP. Certains (pour des raisons de sécurité on ne connaît même pas leur nombre exact) se sont confiés à Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie depuis 2010 lui même protégé par la SDLP, et qui présente la sombre singularité d’avoir survécu à deux attentats dans Paris à 30 ans d’intervalle (au cinéma Rivoli-Beaubourg en 1985 et à Charlie en 2015), deux actes de terrorisme dont il a gardé de lourdes séquelles physiques.
« La boule au ventre »
Dans ce long article intitulé « Ce que ces trois années ont vraiment changé » qui relate les hauts et les bas traversés depuis janvier 2015, plusieurs membres de la rédaction font part de leurs peurs à l’intérieur et en dehors de ce « bunker » où Charlie s’est installé depuis 2015 et dont seules de très rares personnes connaissent l’adresse. « On ne peut pas raconter trop de détails sur la façon dont nous faisons depuis notre journal qui est le vôtre », confie Fabrice Nicolino. « On ne peut livrer des éléments que pourraient récupérer des tueurs mais sachez qu’il y a un moment spécial. Quand il faut s’annoncer depuis la rue pour pénétrer dans le journal, et que l’on se retourne pour être sûr qu’un scooter n’approche pas, ou qu’une porte cochère n’abrite pas une main armée ». « L’horrible peur d’être plombé une fois encore est dans de nombreuses têtes », avoue aussi l’auteur.
« J’ai la boule au ventre », confesse un collègue dans le même article. « Quand j’arrive, quand je suis encore sur la rue, j’ai peur. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas peur sont des crétins ». « La spontanéité, c’est fini. Fini les potes, fini les bars », poursuit l’un de ceux qui font l’objet d’une sécurité rapprochée. « Quand je vais encore dans l’un d’entre eux, mes policiers sont là. Et il leur arrive de me presser de partir parce qu’ils craignent quelque chose. Chez moi, où je suis connu, des voisins d’extrême gauche ne veulent plus me dire bonjour, car ils ne sont surtout pas Charlie. » Nicolino raconte aussi que lui et ses collègues doivent vivre comme des clandestins, qu’il leur faut constamment anticiper, ne pas prendre l’habitude d’aller au même endroit pour manger, qu’il leur faut cacher l’existence de femmes ou de maris. « Je ne vais jamais à aucun événement public avec mon épouse pour que son visage ne soit jamais associé au lieu » assure-t-il.
Mention est faite également des mesures de sécurité extravagantes prises lorsqu’une pièce tirée du livre posthume de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes est jouée dans un lieu culturel de province, ou lorsqu’un libraire doit annuler au dernier moment une séance de dédicaces de livres écrits ou dessinés par des Charlie. « Et une fois qu’on est partis, le pauvre libraire se retrouve seul, non ? » s’interroge un dessinateur. Au fil des pages sont également évoqués le flot de menaces qui ressurgissent dès qu’une Une controversée fait le tour des réseaux sociaux, émanant d’anonymes à qui échappe la notion d’humour au second degré, des réseaux sociaux vilipendés dans un article de Jean-Yves Camus intitulé « Portrait-robot d’un fils de tweet » dans lequel l’auteur fustige les incitations au meurtre qui se sont banalisées et ont un point commun : « le vocabulaire réduit au strict minimum, preuve d’un niveau intellectuel issu de deux neurones qui ne connectent pas ».
Auteur: Rfi