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Par Mathieu de Taillac
VIDÉO – Ne pouvant être réélu, le leader indépendantiste propose de laisser sa place à Jordi Sánchez, actuellement emprisonné à Madrid, et devrait prendre à Bruxelles la présidence d’un « Conseil de la République » dont le rôle, dit-il, ne sera pas symbolique.
Un indépendantiste expatrié en Belgique renonce à briguer la présidence de la Catalogne… et c’est un sécessionniste emprisonné à Madrid qui prend sa place. Carles Puigdemont, le président catalan destitué après la déclaration d’indépendance du 27 octobre, a fini par abandonner. Dans un message vidéo diffusé jeudi soir, il annonce renoncer – «temporairement» – à l’investiture du Parlement catalan, après que celui-ci vote en début d’après-midi une motion honorifique soulignant sa légitimité. Il propose pour le remplacer le numéro deux de sa liste Junts per Catalunya (JpC, centre droit), Jordi Sánchez. Ce dernier, ex-président de l’association ANC, co-organisatrice, avec le collectif Omnium, des très grandes manifestations indépendantistes, est actuellement placé en détention provisoire, accusé notamment de rébellion, un délit passible de 30 ans de prison.
Le passage de témoin peut débloquer de manière momentanée l’imbroglio catalan.
Le passage de témoin peut débloquer de manière momentanée l’imbroglio catalan, après l’échec d’une investiture à distance de Puigdemont. Interdite par le Tribunal constitutionnel, cette dernière avait été convoquée puis ajournée sine die par le président du Parlement catalan, l’indépendantiste Roger Torrent (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC, centre gauche). Mais le dernier mouvement des sécessionnistes ne garantit en rien un retour à la normale en Catalogne. Car pour briguer la confiance des députés catalans, Sánchez devra d’abord demander l’autorisation au juge de sortir quelques heures de sa cellule. S’il l’obtient, ce qui n’est pas acquis, il aura ensuite les plus grandes difficultés à exercer son mandat depuis la prison. Sans compter l’hostilité annoncée du gouvernement espagnol. Le cabinet de Mariano Rajoy a déjà averti qu’il était prêt à continuer à exercer sa tutelle sur la région, qu’il exerce depuis la déclaration d’indépendance, si le Parlement investissait un prisonnier à la tête de la région. Autant de difficultés que les indépendantistes entendent transformer en réquisitoire contre le supposé autoritarisme de l’Espagne, prête à empêcher l’exercice d’un responsable politique démocratiquement nommé. Par cette décision, le camp sécessionniste confirme la stratégie de la confrontation avec Madrid.
Le deuxième risque juridique serait d’usurper les fonctions qui reviennent légalement aux véritables organes de gouvernement de la région.
Puigdemont a annoncé sa décision après avoir obtenu que le Parlement reconnaisse symboliquement sa légitimité. L’impossibilité d’un nouveau mandat était, depuis son départ vers Bruxelles pour éviter l’action des tribunaux espagnols il y a quatre mois, un secret de Polichinelle. La motion votée par le Parlement lui ménage une porte de sortie, en indiquant notamment qu’il «continue de bénéficier d’une majorité parlementaire suffisante» pour l’investir, et en accusant les autorités espagnoles de «répression généralisée».
Puigdemont doit recevoir un second lot de consolation: la présidence à Bruxelles d’un «Conseil de la République», une structure placée en dehors de tout cadre institutionnel catalan ou espagnol. Selon les documents de travail qui circulent entre JpC, ERC et la petite Candidatura d’Unitat Popular (CUP, extrême gauche), les séparatistes envisagent une structure à trois pieds, qui singerait les organes traditionnels de tout système politique: un Conseil de la République, une fondation privée, représenterait un gouvernement bis ; la présidence de ce Conseil serait réservée à Puigdemont ; enfin, une Assemblée de représentants, formée d’élus indépendantistes, servirait d’ersatz de Parlement et légitimerait Puigdemont par une pseudo-investiture à la tête du Conseil. L’ensemble des trois organes est appelé par les indépendantistes «Espace libre de Bruxelles». Un schéma qualifié de «démentiel» par Mariano Rajoy.
«Il souhaite sans doute être un Peron. Il ne sera sûrement pas un Ratzinger.»
Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone
La structure devra en tout cas naviguer entre deux écueils judiciaires: celui de la malversation, d’abord, si un seul euro public est versé. Le deuxième risque juridique serait d’usurper les fonctions qui reviennent légalement aux véritables organes de gouvernement de la région. JpC, CUP et Puigdemont insistent: le rôle de ce dernier ne sera pas «symbolique». Les Bruxellois pourraient être chargés de « mettre en œuvre la République» et d’«internationaliser» la cause, tandis que le gouvernement catalan expédierait les affaires courantes.
«Le rôle de Puigdemont reste à voir, considère Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone. Peut-être connaîtra-t-il le sort de son prédécesseur, Artur Mas, qui pensait exercer un rôle de parrain politique, mais que Puigdemont a peu à peu effacé. Il souhaite sans doute être un Peron (dont l’influence sur la politique argentine s’est maintenue pendant son exil, NDLR). Il ne sera sûrement pas un Ratzinger», dit-il en référence au pape émérite, Benoît XVI.
Tout dépendra aussi de l’attitude de celui qui exercera le pouvoir légal à Barcelone. Roger Torrent a annoncé des rencontres avec les groupes parlementaires la semaine prochaine, première étape avant l’investiture de Sánchez. En cas d’échec, envisagé, voire souhaité par les indépendantistes, le candidat suivant serait alors l’ex-ministre régional Jordi Turull. Mis en examen, ce dernier pourrait être destitué de sa charge à l’ouverture de son procès courant avril… Le déblocage de la politique catalane est encore très loin de conduire à la stabilisation de ses institutions.