Eric Cantona : « Ce que j’ai vécu du Sénégal »

Eric CANTONA - © Malick MBOW
Eric CANTONA – © Malick MBOW

De passage au Sénégal pour le tournage d’un documentaire, l’ancien attaquant français souligne l’importance du football de rue pour développer la créativité des joueurs.

 

le Jeudi 5 Avril 2018

Il restera toujours le « King », la star des Red Devils de Manchester United. A 51 ans, Eric Cantona, l’homme qui a fait chanter la Marseillaise aux Anglais, a fait un passage à Dakar pour les besoins d’un documentaire tourné dans trois pays, Finlande, Pérou et Sénégal, tous qualifiés pour le prochain Mondial de football, qui se disputera du 14 juin au 15 juillet en Russie. Avec son franc-parler, l’ancien attaquant (45 sélections en équipe de France) livre sa vision de la planète foot et déclare sa flamme au continent africain, auquel il prédit un avenir radieux.

Quel est le but de votre visite au Sénégal ?
Je tourne dans un documentaire qui sera diffusé sur Eurosport. En me baladant dans les rues, je rencontre les habitants pour comprendre ce que représente le foot, comment il se développe, quelle place il occupe dans la société. Nous sommes allés en Islande et on doit ensuite aller au Pérou.

Cinq pays africains [Sénégal, Nigeria, Egypte, Tunisie et Maroc] vont participer à la prochaine Coupe du monde. Ont-ils leurs chances ?
Si vous retrouvez des interviews que j’ai données il y a une vingtaine d’années, j’explique qu’une équipe africaine gagnera dans un avenir proche la Coupe du monde. Aujourd’hui, les meilleures atteignent le niveau des quarts de finale, mais je persiste à dire qu’une équipe africaine gagnera bientôt la Coupe du monde.

Que vous inspire le foot africain ?
Je suis fasciné ! Je trouve ça tellement beau de voir des enfants et des adultes jouer au foot comme au Sénégal, c’est incroyable ! En France, on ne voit plus de matchs dans les rues. Quand j’étais gamin, on avait cinq entraînements par semaine, on jouait partout, à l’école, à la maison, dans la rue, dans les aires de jeu. Il y a des gamins qui continuent, mais de moins en moins dehors, parce qu’il n’y a plus d’espaces de jeu. Je trouve ça dommage parce que le football de rue, jouer sans contraintes, en toute liberté, est très important. Il développe la créativité et c’est pour ça qu’une équipe africaine va gagner bientôt la Coupe du monde.

Les équipes africaines ont-elles le niveau ?
J’ai visité plusieurs académies ici et j’ai vu une vraie formation, très structurée, avec des jeunes qui arrivent à l’âge de 12 et 13 ans et qui ont passé des années à jouer dans la rue. Pour élever le niveau, il faut du football libre et des entraînements structurés, et c’est exactement ce que j’ai vu ici. Le Sporting Club de Lisbonne travaille comme ça. Jusqu’à un certain âge, on laisse s’exprimer la personnalité du joueur. Le club a sorti des pépites comme Ronaldo, Nani, Figo… Ils sont capables d’évoluer dans un collectif, mais peuvent faire la différence individuellement. Le football africain correspond exactement à ça.

Depuis la fin de votre carrière, en 1997, vous vous êtes reconverti comme acteur. A quand un long-métrage en Afrique ?
Je reviens de Chine, où j’ai passé deux ou trois mois pour un projet cinématographique avec une équipe de jeunes footballeurs. J’adorerais tourner en Afrique. J’ai des projets et cela fait quelques années que j’y travaille. Il s’agirait plus d’une série que d’un film.

Que retiendrez-vous de votre voyage au Sénégal ?
J’aime voir les gens dehors, se parler, s’amuser. Il y a de l’humour et on sent que les habitants sont vivants… J’adore les voyages, rencontrer les gens, les personnages. Au Sénégal, j’ai discuté avec Youssou Ndour et le grand guide religieux Serigne Modou Kara Mbacké. Il s’agit d’expériences magnifiques, de rencontres très émouvantes.

Vous avez également croisé El Hadji Diouf, le « bad boy » du foot sénégalais. Que vous êtes-vous raconté ?
Nous sommes de deux générations différentes. C’est dommage qu’on n’ait pas pu jouer en même temps. Ce serait magnifique de pouvoir faire un match l’un contre l’autre ou alors ensemble. C’est un grand joueur, une grande personnalité. J’adore les forts tempéraments.

Avez-vous croisé Sarr Boubacar, dont vous avez toujours été fan ?
Quand j’allais au stade Vélodrome avec mon père et mon frère, Sarr était l’idole de tous les Marseillais [le Sénégalais a joué à l’OM de 1975 à 1979 puis de 1983 à 1985]. Après j’ai eu la chance de jouer avec lui, il était en fin de carrière et moi en début. C’était à Martigues [de 1985 à 1986], en deuxième division, et je sortais du centre de formation d’Auxerre. Oui, j’ai eu cette chance incroyable de jouer avec mon idole ! Ici au Sénégal, j’ai pu l’avoir au téléphone mais on n’a malheureusement pas pu se voir. Sarr a marqué le football français, car c’est une personnalité intelligente, généreuse et sympathique, à l’image de son jeu sur le terrain.

A Manchester, le numéro 7 des Red Devils semble toujours difficile à porter depuis votre départ…
Ç’a toujours été un numéro particulier. En Angleterre, le numéro 7 est un peu le numéro 10 au Brésil, en Argentine ou en Afrique. Il y a eu Ronaldo, qui jouait un peu partout, George Best, à l’époque, qui jouait sur le côté aussi, Bryan Robson, qui était milieu relayeur avec un fort caractère de battant. Je pense que le numéro 7 est le numéro qu’on donne à un joueur particulier de l’équipe, mais pas forcément à un poste défini. J’étais évidemment très fier de le porter à Manchester United.

Que pensez-vous du Manchester United de José Mourinho ?
J’aime beaucoup cet entraîneur, qui a prouvé qu’il était capable de gagner de grandes compétitions et des titres depuis plus de dix ans. Mourinho continuera de gagner des matchs, car c’est un stratège. Son style est plutôt défensif, mais il le fait merveilleusement bien.

Comment voyez-vous l’équipe de France aujourd’hui ?
C’est très difficile de dire que je vois cette équipe aller loin dans le Mondial. Toutes les équipes qui sont à la Coupe du monde, sont de grandes équipes, chacune a sa chance. Dans le football, il doit y avoir des surprises, mais il n’y a plus de petites équipes. Si au départ il y a un favori et qu’il ne joue pas à 100 % de ses moyens, il n’a aucune chance. La France a ses chances, comme l’Allemagne, le Sénégal et tant d’autres équipes.

Le Monde

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