Commentaire d’un lecteur sur SENEWEB (Feutré.J’avoue lire ce genre d’article une fois les dix ans.Ici on apprend avec le plaisir.C’est limpide, de bons conseils.les chiffons habituels de la presse écrite sénégalaise devraient s’inspirer de cet article qui une leçon entière d’écriture et de rédaction….)
Voici l’intégralité du texte de Monsieur Samb, Conseiller technique du Premier ministre :
Il est rare par les temps qui courent, de lire à travers nos journaux, des textes qui ne soient pas résolument axés sur la politique. Dans le mauvais sens s’entend ! Le texte de Monsieur Baba Gallé Diallo publié à la page 10 du journal « Dakar-Times » du lundi 4 juin 2018, « L’Etat doit revoir la rédaction du communiqué du Conseil des ministres » nous sort de l’ordinaire, en développant un ensemble de considérations grammaticales qu’il indique comme relevant du bon usage de la langue française et avec lesquelles ce communiqué ministériel serait en porte-à-faux.
Je tiens ici à lui dire mon plaisir à lire des passages de son texte me rappelant des pratiques de cours tout au long des 35 ans consacrés à la matière. Sans polémique aucune, nous tenons, courtoisement, à lui apporter les quelques éléments que voici.
Quand Monsieur Diallo affirme, entre autres, non sans le déplorer que « depuis un certain temps le communiqué du conseil des ministres a profondément changé dans sa forme. En effet, il est marqué par une utilisation abusive du présent de l’indicatif, rendant sa compréhension difficile et déroutante pour la majorité des Sénégalais », notre premier réflexe est de nous étonner positivement de ce qu’un compatriote réclame à l’Etat davantage de clarté formelle dans l’information qui édifie sur l’état des lieux des différents chantiers de la construction nationale.
J’ai dit « entre autres » car dans la même veine, sont alignées quelques considérations complémentaires que je pourrais qualifier « d’éclairages succincts » sur l’emploi du temps présent au mode indicatif. Cette affirmation appelle les remarques suivantes :
La polyvalence temporelle de sa propre expression « Depuis un certain temps » aurait dû, à mon sens, le rendre un peu plus circonspect dans la critique qu’il sert au gouvernement. L’expression « Depuis un certain temps » exprime – t- elle le présent ou le passé ou même le futur ?
Si le constat qu’il fait a débuté avant le présent du « hic et nunc », force est de reconnaître que ce présent est enrobé de passé et il « irrupte » dans le futur puisque de changements notoires dans la rédaction des communiqués au présent de l’indicatif, M. Ba n’en note guère. C’est la raison pour laquelle, le passé s’achève dans le présent qui le prolonge et le futur naît dans le présent qui l’engendre ! C’est dire la grande minceur qui sépare, au niveau de la chronothèse, l’accompli, l’accomplissement et l’inaccompli. Le présent de l’indicatif, en dehors des axes paradigmatiques et syntagmatiques qui lui sont propres, exprime le futur comme il peut exprimer le passé.
-J’arrive de Dakar demain à 15h. Ce présent est un futur.
-Cet homme boit beaucoup malheureusement. Ce présent est un passé.
De sorte que le présent est la forme au moyen de laquelle le locuteur ou le narrateur exprime tout ce qui constitue son actualité, tout ce qui s’y rattache. Certes, cette actualité peut être étroite, momentanée lorsqu’elle coïncide avec l’instant où le locuteur parle.
Mais les exemples cités ci-dessus, prouvent qu’on peut actualiser par la force de la mémoire ou de l’imagination des choses passées ou à venir, qui s’expriment alors au présent.
Le plus surprenant est que ces valeurs d’emploi du présent de l’indicatif ne vous sont pas inconnues M. Ba. Vous en énumérez quelques-unes en affirmant : « ainsi, on distingue plusieurs valeurs du présent de l’indicatif selon le contexte et selon la raison pour laquelle il est employé parmi lesquelles il faut distinguer : » et vous voilà parti dans l’énumération laquelle, même non exhaustive, n’en provoque pas moins une question :
Si M. Ba sait tout cela, pourquoi s’insurge-t-il contre la rédaction du communiqué du Conseil des ministres qui userait plus qu’il ne faut selon lui du présent de l’indicatif ? En quoi cela gêne-t-il d’employer le mode et le temps désinentiel les plus accessibles ? Les plus simples ? Mieux, le communiqué du Conseil des ministres dites-vous est une « réunion constitutionnelle ». Vous devriez ajouter au cours de laquelle le Président de la République prend la parole.
Cette parole du Président se décline au présent de l’indicatif puisqu’elle est directive, elle est instruction sans être comminatoire. Elle ne peut prêter à confusion encore moins faire l’objet d’une contestation. C’est ce contexte de non équivocité du propos présidentiel qui lui confère cette qualité d’être encodé au mode indicatif qui, comme son nom ne le dit pas, INDIQUE, ORDONNE et INSTRUIT. Quel meilleur temps pour le dire si ce n’est le présent de l’indicatif, qui répond alors parfaitement à sa valeur d’emploi nodale : indiquer une réalité ! Le propos du Président ne se cale sur des chimères mais indique bien la voie des solutions à prendre. Pour quoi le présent de l’indicatif !
Mais le passage qui m’interpelle le plus est celui dans lequel M. Ba donne l’exemple que voici, pour très sérieusement s’en offusquer. Je le cite : « …le chef de l’Etat décide d’engager… » « La conjugaison au présent de ce verbe rime-t-elle à quelque chose ? Ce présent de l’indicatif n’a ni la valeur de vérité générale ni la valeur d’un présent de narration » (fin de citation).
M. Ba exclut derechef toutes autres valeurs d’emploi du présent de l’indicatif en dehors des deux valeurs qu’il cite cependant qu’il existe bel et bien une foultitude de valeurs d’emplois de ce présent. On en dénombre au moins dix-sept (17) ! Pas moins ! Que dire par exemple du présent de l’indicatif qui exprime une hypothèse ? Exemple : « S’il vient, nous commençons/commencerons. »
Il y a aussi que M. Ba se trompe me semble-t-il de verbe quand il ne limite le prédicat qu’au seul vocable de « décide ». Le verbe dans ce syntagme est bel et bien « DECIDE D’ENGAGER ». Ce groupe verbal est différent en signification de chacun des trois éléments qui le composent. Si bien que le temps intérieur de ce verbe ou ce que l’on nomme l’aspect du verbe qui n’a rien à voir avec le temps désinentiel ou temps extérieur, colle parfaitement avec l’indicatif présent lequel, soit dit en passant, engendre un futur qui lui est consubstantiellement lié, qui fait corps avec lui, qui lui est sous-jacent, implicite.
Or donc nous voici momentanément arrivé au terme de cette discussion qui répond à celle d’un compatriote qui signe son texte par « Vive le Sénégal » ! Il importe que je signale ce fait de plume comme il importe aussi que je rappelle à cet amoureux de la langue de Malherbe, que les communiqués du Conseil des ministres depuis Senghor sont rédigés avec une nette prédominance du présent de l’indicatif qui les traverse de part en part et de régime en régime !
Si à la question latine du « quid novi ? » je devais répondre à M. Ba sur le « lièvre » qu’il soulève, je lui réponds « nihil novi ».
Vive le Sénégal !
Lamine SAMBE,
Conseiller Technique du Premier Ministre
chargé de la Culture et des Questions Littéraires.